La Journée mondiale du rein (9 mars) est l’occasion de sensibiliser le grand public aux maladies rénales, généralement silencieuses à leur début, ce qui augmente le risque d’un diagnostic tardif et peut avoir de graves conséquences.
Dans cet entretien Pr Amal Bourquia, néphrologue et présidente de l’association «Reins», fait le point sur la situation des maladies rénales au Maroc et nous parle des derniers traitements disponibles.
Le Matin : Quelle est la prévalence de la maladie rénale chronique au Maroc ?
Pr Amal Bourquia : Des chiffres alarmants : 10% de la population mondiale est touchée par la maladie rénale chronique (MRC), soit pour le Maroc près de 3 millions. L'insuffisance rénale chronique est un aboutissement très fréquent et sévère de la MRC. Les chiffres sont de plus en plus ahurissants pour le Maroc : 34.000 patients sont dialysés et seuls 600 transplantés du rein, soit près de 1.200 dialysés par million d’habitants. Son incidence et sa prévalence ne cessent d’augmenter. Ce fardeau élevé des maladies rénales, les disparités dans les soins et les mauvais résultats de l'insuffisance rénale font peser un fardeau croissant sur les personnes touchées, leurs familles, leurs soignants, les organismes de couverture médicale et la communauté dans son ensemble. Par ailleurs, la mortalité liée à la MRC continue de progresser chaque année et devrait être la cinquième cause mondiale du décès d'ici 2040. Alors que la détection précoce permet de prévenir la morbidité et la mortalité, et d'améliorer la rentabilité et la durabilité.
Pensez-vous que la prise en charge des patients atteints de maladies rénales est satisfaisante, surtout avec la généralisation de la protection sociale ?
La généralisation de la protection sociale, lancée par Sa Majesté le Roi, est un projet réel pour l’amélioration des conditions de vie, la préservation de la dignité de tous les Marocains et la protection des catégories vulnérables. La réussite de ce grand projet nécessite la conjugaison des efforts des différentes parties prenantes, dont le gouvernement et les acteurs du système de santé. Peu présente dans les programmes de santé des gouvernements, la maladie rénale chronique est une menace mondiale pour la santé publique et doit prendre une place essentielle dans le projet national. Diagnostiquée tardivement, elle augmentera le besoin mondial de recourir à des traitements coûteux et indispensables telles que la dialyse et la transplantation. Déjà, une grande partie des dépenses de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) va à la prise en charge de la dialyse ; on doit tous contribuer pour ne pas alourdir ces dépenses et réussir ce projet national. La prise en charge globale de la MRC a beaucoup évolué, mais beaucoup de choses restent à faire, la médecine avance vite et devient de plus en plus coûteuse. Mais un grand pas est fourni par la généralisation de la couverture médicale.
Du nouveau sur le volet traitement des maladies rénales ?
Pour la dialyse, il y a de minimes changements dans la qualité et pour certains traitements, par contre, de nombreuses voies de recherche pour la transplantation existent : recours au rein de porc génétiquement modifié, expérience de réanimation d’organes après arrêt cardiaque, modifications du groupe sanguin pour disposer de plus de donneurs, etc.
Mais la grande évolution concerne le numérique. Ainsi dans les soins en néphrologie, des avancées prometteuses sont permises grâce à l’intelligence artificielle (IA). Les dysfonctionnements rénaux, présentés comme une lésion rénale aiguë dans un état de soins intensifs ou des MRC, sont des conditions importantes pour les patients, qui nécessitent une stratification précise des risques et l'initiation d'un traitement. Ainsi, l’IA peut avoir un impact profond sur la prise en charge de ces patients. Par ailleurs, des réglementations éthiques et sur l'IA devraient être respectées comme la confidentialité, la sécurité des informations, la responsabilité médicale et les relations médecin-patient.
Est-ce que la greffe de rein commence à se développer chez nous ?
Absolument pas ! Leur nombre reste dérisoire et en deçà des besoins, d’où la nécessité d’élaborer de nouvelles stratégies grâce à l’implication de tous. Lors de la rencontre tenue en novembre 2022 sur le thème «Pour une vraie relance du don et de la transplantation d’organes au Maroc», nous avons élaboré des recommandations traitant de tous les aspects de la transplantation et en présence de toutes les parties concernées afin de travailler pour le développement de ce traitement et sauver les Marocains qui en ont besoin. Nous sommes toujours dans l’attente de nouvelles actions pour avancer.
Qu'a prévu l'association «Reins» pour la célébration la Journée mondiale du rein cette année ?
Depuis l’avènement de la Journée mondiale du rein en 2006, nous avons toujours travaillé au sein de l’association «Reins» pour augmenter la prise de conscience concernant ce sujet et pour faire de la prévention un des principaux axes de lutte en parallèle à la promotion du don et de la transplantation d’organes.
«Reins» engage une semaine d’action centrée sur la santé rénale en particulier autour des thèmes «Pour de meilleurs soins rénaux», «Assurons la santé rénale pour tous», «La maladie rénale en post-pandémie», «La MRC à l’aire de la couverture médicale généralisée», à travers une campagne de sensibilisation et d'information lancée via les réseaux sociaux comportant des informations, des vidéos d’information, des rencontres...
Cette année, nous sommes ravis de voir que le Syndicat des néphrologues privés du Maroc se joint à nous pour célébrer cette Journée alors que nous avons toujours été seuls à aborder ces sujets. Nous avons prévu une action conjointe sous forme de conférence-débat sur le thème «La maladie rénale dans tous ses états» jeudi 9 mars à Rabat. Cette action est très importante et traduit l’engagement des néphrologues du secteur libéral dans la prise de conscience de la gravité de la MRC et les efforts pour participer à stopper son évolution.
Source: Le Matin